V 1 à 8 : les mages et Hérode
À la suite du récit détaillé de
la naissance de Jésus, Matthieu précise à quelle époque et dans quel lieu
celle-ci se produisit. Jésus naquit à Bethléem, non loin de Jérusalem. Petite
bourgade insignifiante, elle correspond à la ville annoncée par Michée comme le
lieu d’où sortirait le Messie : Michée 5,1.
Jésus naîtra au temps d’Hérode le Grand, un personnage réputé pour sa cruauté
et sa jalousie. L’histoire rapporte à son sujet que, hanté par le souci d’être
trahi, il ira jusqu’à mettre à mort sa 1ère femme, Mariamne, et ses
deux fils, Alexandre et Aristobule. L’empereur Auguste dira de lui : « Il
vaut mieux être le porc d’Hérode que son fils ! »
Peu de temps après la naissance
de Jésus, Jérusalem vit arriver dans ses portes plusieurs mages venus d’Orient.
« Membres des classes érudites, ils étaient dépositaires de la science,
de la philosophie, des mystères religieux et de la pratique médicale des pays
de l’autre côté de l’Euphrate. Tacite, Suétone et Josèphe nous disent que dans
les régions d’où ils venaient, se manifestait alors une grande attente pour un
grand roi qui devait apparaître en Juda. Nous savons aussi par les calculs de
l’astronome Kepler qu’à cette même époque on pouvait voir dans les cieux une
brillante étoile temporaire. Or les mages qui étudiaient avec ferveur
l’astrologie, croyaient que tout phénomène peu ordinaire dans les cieux était
le signe de quelque événement remarquable sur la terre.[1] »
Convaincu par le signe céleste que le roi des Juifs attendu venait de naître,
les mages suivirent sa course qui les mena à la capitale d’Israël.
Arrivés à Jérusalem, les mages firent part sans détour de la raison de leur venue. Ils voulaient savoir où se
trouvait le roi des Juifs qui venait de naître. La précision de leur propos sur l’identité de celui qui était la raison de leur périple ne pouvait qu’étonner. Premiers concernés, les habitants de Jérusalem ignoraient tout de l’évènement qui avaient mis en route les mages depuis leurs lointaines contrées. Alors que, depuis des siècles, les prophètes juifs préparaient le peuple à la venue du Messie, c’est par la bouche d’étrangers ignorant les Ecritures que la nouvelle de son apparition se fait entendre en Israël. De plus, les mages ne se limitent pas à informer les habitants de la ville de la nouvelle qui a provoqué leur déplacement. Ils communiquent aux Israélites quelle attitude il convient d’adopter envers celui qui vient de naître. « Nous sommes, disent-ils, venus pour l’adorer. » D’une certaine manière déjà ici, c’est la parole de jugement prononcée par Moïse sur Israël qui se réalise. « C’est par des hommes d’une autre langue et des lèvres étrangères que je parlerai à ce peuple, et même ainsi, ils ne m’écouteront pas, dit le Seigneur : 1 Corinthiens 14,21 ; Deutéronome 28,49. »
Avec les mages, Hérode est l’autre
personnage principal du récit. Roi sur la Judée, il ne pouvait lui aussi qu’être
troublé par la rumeur qui se répandait dans la ville. Désireux d’en savoir plus,
il initia deux démarches complémentaires. Il fit venir en premier dans son
palais les chefs des prêtres et les spécialistes de la loi pour les interroger
au sujet de ce que disait l’Ecriture sur la venue du Roi-Messie. Que disait-elle ?
Quel lieu indiquait-elle comme celui de sa naissance ? Par ses questions,
Hérode rendait un bel hommage à la Parole de Dieu. Il témoignait que, pour lui,
elle n’était pas une simple parole humaine, mais une parole inspirée, sûre,
fiable. Il validait le fait que la venue de Jésus ne procédait pas du hasard,
mais qu’elle était l’accomplissement des prophéties faites sur lui dans l’Ancien
Testament. La référence constante à l’Ecriture sera, tout au long de son
Evangile, le principe suivi par Matthieu. C’est selon ce qui est écrit que la
vie, les actes, la mort et la résurrection de Jésus-Christ se dérouleront,
preuve indéniable de son identité de Fils de Dieu.
Ayant appris ce qu’il voulait
savoir des Juifs, Hérode fit ensuite venir secrètement les mages. Comme
Nicodème venu de nuit vers Jésus, il ne tenait pas à ce que l’on sache
publiquement qu’il s’intéressait de près à sa personne. Hérode joua de ruse,
non seulement pour recevoir les mages chez lui, mais aussi pour les interroger.
Il les questionna d’abord au sujet de l’étoile qu’ils avaient suivie. Depuis
combien de temps était-elle apparue ? La réponse donnée lui donnerait l’indication
qu’il cherchait sur le moment où Jésus était né. Puis il les envoya à Bethléem et
leur demanda de revenir après leur visite chez l’enfant, prétextant le fait que
lui aussi voulait aller l’adorer. Les sombres projets du roi cruel leur étaient
cachés, mais ils ne l’étaient pas pour Dieu. Ce n’est pas la volonté des rois
qui s’accomplit dans l’histoire, mais celle de Dieu.
V 9 à 12 :
les mages devant Jésus
Après leur détour par Jérusalem,
les mages se remirent en chemin, guidés par l’étoile qui, pour leur plus grande
joie, réapparut. Le Seigneur, qui avait initié leur départ grâce à ce signe,
n’allait pas les laisser en plan. Il les conduirait jusqu’au terme de leur
mission. Nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi Dieu laissa les
mages se rendre d’abord au mauvais endroit pour y rencontrer Hérode, le roi
cruel. La réponse vient plus tard. Il fallait que l’Ecriture, qui avait annoncé
d’avance le massacre des enfants innocents de la région par le despote,
s’accomplisse. Les circonstances qui entourent la naissance de Jésus ne sont
pas le fait du hasard, mais la réalisation pleine et entière des prophéties
liées à la venue du Messie.
Parvenue à l’endroit où se
trouvait Jésus, l’étoile s’arrêta. Les mages surent alors qu’ils étaient
arrivés au bout de leur voyage. Découvrant Jésus et sa mère, ils réagirent aussitôt
selon ce que leur conscience leur pressait de faire. Les mages étaient des
sommités reconnues et respectées dans leur pays. Mais, face à Jésus, ils
adoptent la seule attitude qui convient. Ils se prosternent devant lui et
l’adorent. Bien que leur apparaissant sous une forme fragile, Jésus est pour
eux plus qu’un frêle enfant. Les mages savent qu’ils ont devant leurs yeux le
Fils du Dieu Très-Haut fait homme. Même si la tradition a donné des noms aux
mages, ceux-ci, dans l’Evangile, conservent l’anonymat. Le but n’est pas que
l’histoire se souvienne d’eux, mais de celui qui est l’objet même de leur
périple : Jésus-Christ. Matthieu ne nous dit pas quels sentiments habitèrent
Marie et Joseph devant cette scène. Ne doutons pas qu’elle les impressionna.
Elle confirma, de manière forte, ce qu’ils savaient déjà sur Jésus. Mais elle
élargit très certainement aussi leur perspective. Jésus n’était pas venu
seulement pour être le Roi d’Israël, mais celui du monde entier.
Après l’avoir adoré, les mages se
comportent à l’égard de Jésus comme des vassaux vis-à-vis d’un suzerain. Ils
lui manifestent leur allégeance en lui offrant une part des richesses de leur
pays. Le premier don que les mages déposent aux pieds de Jésus est de l’or. L’or
témoigne de leur reconnaissance de sa royauté : cf 1 Rois 9,13-14. Après l’or, vient l’encens, parfum qui symbolise la
bonne odeur de la prière : Psaume 141,2.
Par lui, les mages allèguent que Jésus est à leurs yeux plus qu’un roi humain.
Il est l’Oint de Dieu, le Christ-Roi à qui doit revenir la louange. Le dernier cadeau
offert est de la myrrhe. Présente au départ de la vie de Jésus, la myrrhe le
sera aussi à la fin. Sur la croix où il souffrit, Jésus recevra des soldats du
vin mêlé de myrrhe qu’il refusera : Marc 15,23.
Après sa mort, Nicodème apportera au tombeau de Jésus un mélange d’environ cent
livres de myrrhe et d’aloès : Jean 19,39. La
myrrhe apportée par les mages annonce d’avance les souffrances de Jésus et la
mort dont elles seraient suivies. L’identité de Jésus, et le destin qui l’attend,
sont contenus tout entier dans les présents qui lui sont offerts par les mages.
« Leur visite était une prophétie, celle du monde païen qui accueillerait
la doctrine du salut et apporterait ses richesses, ses talents, sa science et
sa philosophie, pour les déposer aux pieds de son Sauveur.[1] »
Leur mission accomplie, les mages
retournent dans leur pays sans revenir à Jérusalem. Peu avant leur départ, Dieu
les avertit dans un rêve de ne pas répondre à la demande d’Hérode de les revoir
après leur visite à Jésus. Du début à la fin, le périple des mages se déroula
sous la conduite de Dieu. Qu’il en soit ainsi pour toute notre vie !
V 13 à 15 : exil de
la famille en Egypte
Entré dans le monde sous la forme
d’un bambin, le Fils de Dieu se trouve dans la situation de vulnérabilité la
plus extrême. Sa survie ne dépend que des bons soins que lui prodigue son
entourage, sa mère en particulier. Pour autant, ses parents ne sont pas livrés
à eux-mêmes dans cette affaire. Dieu, son Père, est là, veillant sur tout, ne
permettant à personne de le toucher ou d’attenter à sa vie. Connaissant les
sombres desseins d’Hérode à l’égard de Jésus, l’Eternel transmet à Joseph, le
père de famille, des directives précises sur ce qu’il doit faire. Toute la
famille doit partir pour l’Egypte, le temps qu’Hérode meurt, pour se mettre à l’abri.
Joseph ne reviendra dans son pays qu’au moment où Dieu le lui dira. Ce séjour
passager du Fils de Dieu n’est pas accidentel. Il est lui aussi la réalisation
d’une prophétie émise à son sujet, par Osée : Osée
11,1. Allusive à Israël, elle s’applique d’abord
à Jésus.
Nous lisons facilement le récit
de cet épisode de la vie de la famille de Jésus. Réalisons-nous cependant le
bouleversement qu’il a été pour Marie et Joseph ? Choisis par Dieu pour
être les parents adoptifs de Jésus, ils ne s’appartiennent plus. Ils sont les
acteurs d’un projet qui les dépasse. A cause de Jésus, des sommités étrangères
les visitent. A cause de Jésus, un roi cruel les menace. A cause de Jésus, ils
doivent devenir des migrants, s’installer dans un pays qui n’est pas le leur.
Il leur faut trouver un lieu d’habitation nouveau, se familiariser avec une
nouvelle langue, trouver de quoi vivre… sans savoir combien de temps cet exil
durera. Avoir Jésus avec soi, c’est accepter que notre vie tout entière soit à
la disposition de Dieu pour l’accomplissement de son dessein. Suis-je prêt à ce
que mes projets soient mis à mal pour Jésus ?
V 16 à 18 : massacre des innocents
Les mages repartis dans leur pays sans revoir Hérode, la réaction du potentat ne tarda pas. Peu habitué à ce qu’on lui résiste, il se mit dans une colère noire. Habile à tromper les autres, Hérode ne supportait pas qu’on en fasse autant pour lui. Digne descendant de Caïn, il refusa de rentrer en lui-même pour se repentir. Puisque Dieu contrariait ses plans, il allait s’en prendre à des innocents. Ayant appris des mages la date approximative de la naissance de Jésus, Hérode ordonna que tous les enfants jusqu’à deux ans soient tués. La milice du roi fut dépêchée pour accomplir la sale besogne. Les soldats pénétrèrent dans les maisons, arrachèrent les enfants des bras de leurs parents et les passèrent au fil de l’épée. Saint-Augustin dépeint la scène :
« Les mères s’arrachaient les cheveux ; elles voulaient cacher leurs petits-enfants, mais ces tendres créatures se trahissaient elles-mêmes ; elles ne savaient pas se taire, n’ayant pas appris à craindre. C’était un combat entre la mère et le bourreau ; l’un saisissait violemment sa proie, l’autre la retenait avec effort. La mère disait au bourreau : « Moi, te livrer mon enfant ! Mes entrailles lui ont donné la vie, et tu veux le briser contre terre ! » Une autre mère s’écriait : « Cruel, s’il y a une coupable, c’est moi ! Ou bien épargne mon fils, ou bien tue-moi avec lui ! » Une voix se faisait entendre : « Qui cherchez-vous ? Vous tuez une multitude d’enfants pour vous débarrasser d’un seul, et celui que vous cherchez vous échappe ! » Et tandis que le cri des femmes formait un mélange confus, le sacrifice des petits enfants était agréé du Ciel.[1] » Les soldats semèrent la mort dans la ville, laissant derrière eux cris, pleurs et lamentations. Alors s’accomplit la parole prophétique funeste dite par Jérémie des siècles plus tôt. Le territoire où Rachel, la femme bien-aimée de Jacob, était ensevelie : Genèse 35,19, pleurait ses enfants. Ses habitants étaient dans une telle désolation que rien ne pouvait les consoler : Jérémie 31,15. Les enfants innocents, en mourant, permettent au Christ de s’enfuir, en attendant le jour où lui, l’Innocent, se sacrifiera pour le salut de tous.
« Vous savez, dira Jésus
plus tard, que les chefs des nations les tyrannisent : Matthieu 20,25. » Propulsés
au pouvoir, de nombreux despotes, tels Hérode, en abusent de toutes sortes de
manières. Imbus de leur personne, ils ne supportent aucune opposition à leur
volonté. Incapables de se remettre en question lorsque les choses ne se
déroulent pas comme ils l’entendent, il leur faut un bouc émissaire sur lequel
déverser leur fureur. Alors commence le massacre des innocents. Au lieu d’en
user pour le bien et la sécurité du peuple, les forces au service du roi sont détournées
au profit de la vengeance. Les plus faibles sont les victimes toutes désignées.
Que les tyrans le sachent ! Leurs jours sont comptés. Vient l’heure où ils
devront comparaître devant Dieu pour rendre compte de la façon avec laquelle
ils ont exercé leur charge. Le jugement sera sans miséricorde pour qui n’a pas
fait miséricorde : Jacques 2,13.
V 19 à 23 :
installation à Nazareth
Le temps de l’exil de Jésus et
ses parents en Egypte ne durera pas. Hérode, qui espérait éliminer un rival
potentiel par le massacre des innocents, ne survivra que peu de temps après son
crime. Il mourra, selon l’historien Josèphe, rapidement d’une maladie honteuse[1].
Hérode est l’archétype de tous les dictateurs cruels. Se pensant éternels, ils
oublient qu’ils ne sont qu’un souffle dans la main de Dieu : Psaume 39,5.11. A peine nés, ils ne sont plus et leur
vie est retranchée. L’œuvre de Dieu, quant à elle, subsiste. La page Hérode
tournée, un ange de Dieu visite Joseph en rêve et lui ordonne de retourner en
Israël. C’est là que Jésus doit grandir et, plus tard, exercer son ministère. Même
si le salut qu’il inaugure s’étend à toutes les nations, c’est d’abord pour les
brebis perdues d’Israël qu’il est venu : Matthieu
10,6 ; 15,24. Arrivé dans le pays, Joseph ne retourne pas à
Bethléem. Si Hérode est mort, sa dynastie ne l’est pas. Archélaüs, son fils,
règne sur la Judée. Sous la direction de Dieu, Joseph s’établit à Nazareth. Désormais
le nom de Jésus sera associé à ce lieu : Jean
19,19 ; Actes 2,22 ; 3,6 ; 10,38 ; 22,8. Cette origine
géographique ne le servira pas. Etablie en Galilée, Nazareth faisait partie d’une
région qui n’était jusqu’alors pas connue pour avoir fait naître de grands noms
dans l’histoire du pays : cf Jean 7,52 « Que
peut-il venir de bon de Nazareth ? dit Nathanaël à Philippe, qui lui
témoignait de sa rencontre avec Jésus : Jean 1,46. »
Matthieu n’y voit pas un hasard, mais la réalisation d’une prophétie au
sujet d’un des noms sous lesquels on appellera le Messie : le netser
ou rejeton : Esaïe 11,1.
Arrivé au terme du récit des
faits qui entourent la naissance de Jésus, nous ne pouvons que nous étonner du
nombre considérable d’interventions miraculeuses de Dieu qui les émaillent. Matthieu
n’est pas le seul à en témoigner, Luc en ajoute. Marie reçoit la visite de l’ange
Gabriel qui lui annonce le projet que Dieu a en vue pour elle : Luc 1,26 à 38. Vierge, elle se trouve enceinte par la
vertu souveraine du Saint-Esprit : Matthieu 1,18.
Joseph reçoit de Dieu par des rêves plusieurs révélations destinées à le guider
dans les décisions qu’il doit prendre : Matthieu
1,20 ; 2,13.19. Des anges apparaissent à des bergers et leur
annoncent la naissance du Roi : Luc 2,13 à 16. Une étoile guide des mages d’Orient jusqu’à Jésus à
Bethléem : Matthieu 2,1.9. Divinement
avertis de ne pas retourner chez Hérode, ils quittent Israël sans repasser par
Jérusalem : Matthieu 2,12. La naissance de
Jésus est le fait le plus important de l’histoire de l’humanité. Toutes les
ressources divines sont engagées pour qu’elle se produise sans encombre. L’armée
céleste, au service de Dieu, est mise à contribution. L’univers même y joue un
rôle. Une bonne nouvelle nous est annoncée qui sera une source de grande joie
pour tout le peuple. Dans la ville de David, il nous est né un Sauveur qui est
le Messie, le Seigneur : Luc 2,10-11.
Joignons-nous au chœur céleste pour chanter : Gloire à Dieu dans les lieux
très hauts, paix sur la terre et bienveillance parmi les hommes ! : Luc 2,14.
[1] La vie
de Jésus-Christ : James Stalker : Edition CLC : page 16