mardi 30 novembre 2021

CHAPITRE 2

V 1 à 8 : les mages et Hérode

À la suite du récit détaillé de la naissance de Jésus, Matthieu précise à quelle époque et dans quel lieu celle-ci se produisit. Jésus naquit à Bethléem, non loin de Jérusalem. Petite bourgade insignifiante, elle correspond à la ville annoncée par Michée comme le lieu d’où sortirait le Messie : Michée 5,1. Jésus naîtra au temps d’Hérode le Grand, un personnage réputé pour sa cruauté et sa jalousie. L’histoire rapporte à son sujet que, hanté par le souci d’être trahi, il ira jusqu’à mettre à mort sa 1ère femme, Mariamne, et ses deux fils, Alexandre et Aristobule. L’empereur Auguste dira de lui : « Il vaut mieux être le porc d’Hérode que son fils ! »

Peu de temps après la naissance de Jésus, Jérusalem vit arriver dans ses portes plusieurs mages venus d’Orient. « Membres des classes érudites, ils étaient dépositaires de la science, de la philosophie, des mystères religieux et de la pratique médicale des pays de l’autre côté de l’Euphrate. Tacite, Suétone et Josèphe nous disent que dans les régions d’où ils venaient, se manifestait alors une grande attente pour un grand roi qui devait apparaître en Juda. Nous savons aussi par les calculs de l’astronome Kepler qu’à cette même époque on pouvait voir dans les cieux une brillante étoile temporaire. Or les mages qui étudiaient avec ferveur l’astrologie, croyaient que tout phénomène peu ordinaire dans les cieux était le signe de quelque événement remarquable sur la terre.[1] » Convaincu par le signe céleste que le roi des Juifs attendu venait de naître, les mages suivirent sa course qui les mena à la capitale d’Israël.

Arrivés à Jérusalem, les mages firent part sans détour de la raison de leur venue. Ils voulaient savoir où se

trouvait le roi des Juifs qui venait de naître. La précision de leur propos sur l’identité de celui qui était la raison de leur périple ne pouvait qu’étonner. Premiers concernés, les habitants de Jérusalem ignoraient tout de l’évènement qui avaient mis en route les mages depuis leurs lointaines contrées. Alors que, depuis des siècles, les prophètes juifs préparaient le peuple à la venue du Messie, c’est par la bouche d’étrangers ignorant les Ecritures que la nouvelle de son apparition se fait entendre en Israël. De plus, les mages ne se limitent pas à informer les habitants de la ville de la nouvelle qui a provoqué leur déplacement. Ils communiquent aux Israélites quelle attitude il convient d’adopter envers celui qui vient de naître. « Nous sommes, disent-ils, venus pour l’adorer. » D’une certaine manière déjà ici, c’est la parole de jugement prononcée par Moïse sur Israël qui se réalise. « C’est par des hommes d’une autre langue et des lèvres étrangères que je parlerai à ce peuple, et même ainsi, ils ne m’écouteront pas, dit le Seigneur : 1 Corinthiens 14,21 ; Deutéronome 28,49. »

Avec les mages, Hérode est l’autre personnage principal du récit. Roi sur la Judée, il ne pouvait lui aussi qu’être troublé par la rumeur qui se répandait dans la ville. Désireux d’en savoir plus, il initia deux démarches complémentaires. Il fit venir en premier dans son palais les chefs des prêtres et les spécialistes de la loi pour les interroger au sujet de ce que disait l’Ecriture sur la venue du Roi-Messie. Que disait-elle ? Quel lieu indiquait-elle comme celui de sa naissance ? Par ses questions, Hérode rendait un bel hommage à la Parole de Dieu. Il témoignait que, pour lui, elle n’était pas une simple parole humaine, mais une parole inspirée, sûre, fiable. Il validait le fait que la venue de Jésus ne procédait pas du hasard, mais qu’elle était l’accomplissement des prophéties faites sur lui dans l’Ancien Testament. La référence constante à l’Ecriture sera, tout au long de son Evangile, le principe suivi par Matthieu. C’est selon ce qui est écrit que la vie, les actes, la mort et la résurrection de Jésus-Christ se dérouleront, preuve indéniable de son identité de Fils de Dieu.

Ayant appris ce qu’il voulait savoir des Juifs, Hérode fit ensuite venir secrètement les mages. Comme Nicodème venu de nuit vers Jésus, il ne tenait pas à ce que l’on sache publiquement qu’il s’intéressait de près à sa personne. Hérode joua de ruse, non seulement pour recevoir les mages chez lui, mais aussi pour les interroger. Il les questionna d’abord au sujet de l’étoile qu’ils avaient suivie. Depuis combien de temps était-elle apparue ? La réponse donnée lui donnerait l’indication qu’il cherchait sur le moment où Jésus était né. Puis il les envoya à Bethléem et leur demanda de revenir après leur visite chez l’enfant, prétextant le fait que lui aussi voulait aller l’adorer. Les sombres projets du roi cruel leur étaient cachés, mais ils ne l’étaient pas pour Dieu. Ce n’est pas la volonté des rois qui s’accomplit dans l’histoire, mais celle de Dieu.

V 9 à 12 : les mages devant Jésus

Après leur détour par Jérusalem, les mages se remirent en chemin, guidés par l’étoile qui, pour leur plus grande joie, réapparut. Le Seigneur, qui avait initié leur départ grâce à ce signe, n’allait pas les laisser en plan. Il les conduirait jusqu’au terme de leur mission. Nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi Dieu laissa les mages se rendre d’abord au mauvais endroit pour y rencontrer Hérode, le roi cruel. La réponse vient plus tard. Il fallait que l’Ecriture, qui avait annoncé d’avance le massacre des enfants innocents de la région par le despote, s’accomplisse. Les circonstances qui entourent la naissance de Jésus ne sont pas le fait du hasard, mais la réalisation pleine et entière des prophéties liées à la venue du Messie.

Parvenue à l’endroit où se trouvait Jésus, l’étoile s’arrêta. Les mages surent alors qu’ils étaient arrivés au bout de leur voyage. Découvrant Jésus et sa mère, ils réagirent aussitôt selon ce que leur conscience leur pressait de faire. Les mages étaient des sommités reconnues et respectées dans leur pays. Mais, face à Jésus, ils adoptent la seule attitude qui convient. Ils se prosternent devant lui et l’adorent. Bien que leur apparaissant sous une forme fragile, Jésus est pour eux plus qu’un frêle enfant. Les mages savent qu’ils ont devant leurs yeux le Fils du Dieu Très-Haut fait homme. Même si la tradition a donné des noms aux mages, ceux-ci, dans l’Evangile, conservent l’anonymat. Le but n’est pas que l’histoire se souvienne d’eux, mais de celui qui est l’objet même de leur périple : Jésus-Christ. Matthieu ne nous dit pas quels sentiments habitèrent Marie et Joseph devant cette scène. Ne doutons pas qu’elle les impressionna. Elle confirma, de manière forte, ce qu’ils savaient déjà sur Jésus. Mais elle élargit très certainement aussi leur perspective. Jésus n’était pas venu seulement pour être le Roi d’Israël, mais celui du monde entier.

Après l’avoir adoré, les mages se comportent à l’égard de Jésus comme des vassaux vis-à-vis d’un suzerain. Ils lui manifestent leur allégeance en lui offrant une part des richesses de leur pays. Le premier don que les mages déposent aux pieds de Jésus est de l’or. L’or témoigne de leur reconnaissance de sa royauté : cf 1 Rois 9,13-14. Après l’or, vient l’encens, parfum qui symbolise la bonne odeur de la prière : Psaume 141,2. Par lui, les mages allèguent que Jésus est à leurs yeux plus qu’un roi humain. Il est l’Oint de Dieu, le Christ-Roi à qui doit revenir la louange. Le dernier cadeau offert est de la myrrhe. Présente au départ de la vie de Jésus, la myrrhe le sera aussi à la fin. Sur la croix où il souffrit, Jésus recevra des soldats du vin mêlé de myrrhe qu’il refusera : Marc 15,23. Après sa mort, Nicodème apportera au tombeau de Jésus un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès : Jean 19,39. La myrrhe apportée par les mages annonce d’avance les souffrances de Jésus et la mort dont elles seraient suivies. L’identité de Jésus, et le destin qui l’attend, sont contenus tout entier dans les présents qui lui sont offerts par les mages. « Leur visite était une prophétie, celle du monde païen qui accueillerait la doctrine du salut et apporterait ses richesses, ses talents, sa science et sa philosophie, pour les déposer aux pieds de son Sauveur.[1] » Peu nombreux, les mages sont les prémices de la gloire universelle que recevra le Christ-Jésus des nations. Un jour, qui n’est plus très loin, « tous les survivants des nations, dit Zacharie, monteront chaque année à Jérusalem pour adorer le roi, l’Eternel, le maître de l’univers… : Zacharie 14,16. »

Leur mission accomplie, les mages retournent dans leur pays sans revenir à Jérusalem. Peu avant leur départ, Dieu les avertit dans un rêve de ne pas répondre à la demande d’Hérode de les revoir après leur visite à Jésus. Du début à la fin, le périple des mages se déroula sous la conduite de Dieu. Qu’il en soit ainsi pour toute notre vie !

V 13 à 15 : exil de la famille en Egypte

Entré dans le monde sous la forme d’un bambin, le Fils de Dieu se trouve dans la situation de vulnérabilité la plus extrême. Sa survie ne dépend que des bons soins que lui prodigue son entourage, sa mère en particulier. Pour autant, ses parents ne sont pas livrés à eux-mêmes dans cette affaire. Dieu, son Père, est là, veillant sur tout, ne permettant à personne de le toucher ou d’attenter à sa vie. Connaissant les sombres desseins d’Hérode à l’égard de Jésus, l’Eternel transmet à Joseph, le père de famille, des directives précises sur ce qu’il doit faire. Toute la famille doit partir pour l’Egypte, le temps qu’Hérode meurt, pour se mettre à l’abri. Joseph ne reviendra dans son pays qu’au moment où Dieu le lui dira. Ce séjour passager du Fils de Dieu n’est pas accidentel. Il est lui aussi la réalisation d’une prophétie émise à son sujet, par Osée : Osée 11,1. Allusive à Israël, elle s’applique d’abord à Jésus.

Nous lisons facilement le récit de cet épisode de la vie de la famille de Jésus. Réalisons-nous cependant le bouleversement qu’il a été pour Marie et Joseph ? Choisis par Dieu pour être les parents adoptifs de Jésus, ils ne s’appartiennent plus. Ils sont les acteurs d’un projet qui les dépasse. A cause de Jésus, des sommités étrangères les visitent. A cause de Jésus, un roi cruel les menace. A cause de Jésus, ils doivent devenir des migrants, s’installer dans un pays qui n’est pas le leur. Il leur faut trouver un lieu d’habitation nouveau, se familiariser avec une nouvelle langue, trouver de quoi vivre… sans savoir combien de temps cet exil durera. Avoir Jésus avec soi, c’est accepter que notre vie tout entière soit à la disposition de Dieu pour l’accomplissement de son dessein. Suis-je prêt à ce que mes projets soient mis à mal pour Jésus ?

V 16 à 18 : massacre des innocents

Les mages repartis dans leur pays sans revoir Hérode, la réaction du potentat ne tarda pas. Peu habitué à ce qu’on lui résiste, il se mit dans une colère noire. Habile à tromper les autres, Hérode ne supportait pas qu’on en fasse autant pour lui. Digne descendant de Caïn, il refusa de rentrer en lui-même pour se repentir. Puisque Dieu contrariait ses plans, il allait s’en prendre à des innocents. Ayant appris des mages la date approximative de la naissance de Jésus, Hérode ordonna que tous les enfants jusqu’à deux ans soient tués. La milice du roi fut dépêchée pour accomplir la sale besogne. Les soldats pénétrèrent dans les maisons, arrachèrent les enfants des bras de leurs parents et les passèrent au fil de l’épée. Saint-Augustin dépeint la scène :

« Les mères s’arrachaient les cheveux ; elles voulaient cacher leurs petits-enfants, mais ces tendres créatures se trahissaient elles-mêmes ; elles ne savaient pas se taire, n’ayant pas appris à craindre. C’était un combat entre la mère et le bourreau ; l’un saisissait violemment sa proie, l’autre la retenait avec effort. La mère disait au bourreau : « Moi, te livrer mon enfant ! Mes entrailles lui ont donné la vie, et tu veux le briser contre terre ! » Une autre mère s’écriait : « Cruel, s’il y a une coupable, c’est moi ! Ou bien épargne mon fils, ou bien tue-moi avec lui ! » Une voix se faisait entendre : « Qui cherchez-vous ? Vous tuez une multitude d’enfants pour vous débarrasser d’un seul, et celui que vous cherchez vous échappe ! » Et tandis que le cri des femmes formait un mélange confus, le sacrifice des petits enfants était agréé du Ciel.[1] » Les soldats semèrent la mort dans la ville, laissant derrière eux cris, pleurs et lamentations. Alors s’accomplit la parole prophétique funeste dite par Jérémie des siècles plus tôt. Le territoire où Rachel, la femme bien-aimée de Jacob, était ensevelie : Genèse 35,19, pleurait ses enfants. Ses habitants étaient dans une telle désolation que rien ne pouvait les consoler : Jérémie 31,15. Les enfants innocents, en mourant, permettent au Christ de s’enfuir, en attendant le jour où lui, l’Innocent, se sacrifiera pour le salut de tous.

« Vous savez, dira Jésus plus tard, que les chefs des nations les tyrannisent : Matthieu 20,25. » Propulsés au pouvoir, de nombreux despotes, tels Hérode, en abusent de toutes sortes de manières. Imbus de leur personne, ils ne supportent aucune opposition à leur volonté. Incapables de se remettre en question lorsque les choses ne se déroulent pas comme ils l’entendent, il leur faut un bouc émissaire sur lequel déverser leur fureur. Alors commence le massacre des innocents. Au lieu d’en user pour le bien et la sécurité du peuple, les forces au service du roi sont détournées au profit de la vengeance. Les plus faibles sont les victimes toutes désignées. Que les tyrans le sachent ! Leurs jours sont comptés. Vient l’heure où ils devront comparaître devant Dieu pour rendre compte de la façon avec laquelle ils ont exercé leur charge. Le jugement sera sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde : Jacques 2,13.

V 19 à 23 : installation à Nazareth

Le temps de l’exil de Jésus et ses parents en Egypte ne durera pas. Hérode, qui espérait éliminer un rival potentiel par le massacre des innocents, ne survivra que peu de temps après son crime. Il mourra, selon l’historien Josèphe, rapidement d’une maladie honteuse[1]. Hérode est l’archétype de tous les dictateurs cruels. Se pensant éternels, ils oublient qu’ils ne sont qu’un souffle dans la main de Dieu : Psaume 39,5.11. A peine nés, ils ne sont plus et leur vie est retranchée. L’œuvre de Dieu, quant à elle, subsiste. La page Hérode tournée, un ange de Dieu visite Joseph en rêve et lui ordonne de retourner en Israël. C’est là que Jésus doit grandir et, plus tard, exercer son ministère. Même si le salut qu’il inaugure s’étend à toutes les nations, c’est d’abord pour les brebis perdues d’Israël qu’il est venu : Matthieu 10,6 ; 15,24. Arrivé dans le pays, Joseph ne retourne pas à Bethléem. Si Hérode est mort, sa dynastie ne l’est pas. Archélaüs, son fils, règne sur la Judée. Sous la direction de Dieu, Joseph s’établit à Nazareth. Désormais le nom de Jésus sera associé à ce lieu : Jean 19,19 ; Actes 2,22 ; 3,6 ; 10,38 ; 22,8. Cette origine géographique ne le servira pas. Etablie en Galilée, Nazareth faisait partie d’une région qui n’était jusqu’alors pas connue pour avoir fait naître de grands noms dans l’histoire du pays : cf Jean 7,52 « Que peut-il venir de bon de Nazareth ? dit Nathanaël à Philippe, qui lui témoignait de sa rencontre avec Jésus : Jean 1,46. » Matthieu n’y voit pas un hasard, mais la réalisation d’une prophétie au sujet d’un des noms sous lesquels on appellera le Messie : le netser ou rejeton : Esaïe 11,1.

Arrivé au terme du récit des faits qui entourent la naissance de Jésus, nous ne pouvons que nous étonner du nombre considérable d’interventions miraculeuses de Dieu qui les émaillent. Matthieu n’est pas le seul à en témoigner, Luc en ajoute. Marie reçoit la visite de l’ange Gabriel qui lui annonce le projet que Dieu a en vue pour elle : Luc 1,26 à 38. Vierge, elle se trouve enceinte par la vertu souveraine du Saint-Esprit : Matthieu 1,18. Joseph reçoit de Dieu par des rêves plusieurs révélations destinées à le guider dans les décisions qu’il doit prendre : Matthieu 1,20 ; 2,13.19. Des anges apparaissent à des bergers et leur annoncent la naissance du Roi : Luc 2,13 à 16. Une étoile guide des mages d’Orient jusqu’à Jésus à Bethléem : Matthieu 2,1.9. Divinement avertis de ne pas retourner chez Hérode, ils quittent Israël sans repasser par Jérusalem : Matthieu 2,12. La naissance de Jésus est le fait le plus important de l’histoire de l’humanité. Toutes les ressources divines sont engagées pour qu’elle se produise sans encombre. L’armée céleste, au service de Dieu, est mise à contribution. L’univers même y joue un rôle. Une bonne nouvelle nous est annoncée qui sera une source de grande joie pour tout le peuple. Dans la ville de David, il nous est né un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur : Luc 2,10-11. Joignons-nous au chœur céleste pour chanter : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, paix sur la terre et bienveillance parmi les hommes ! : Luc 2,14.


[1] La vie de Jésus-Christ : James Stalker : Edition CLC : page 16



[1] La vie de Jésus-Christ : James Stalker : Editions CLC, page14

jeudi 11 novembre 2021

CHAPITRE 1

 V 1 à 17 : généalogie de Jésus-Christ

V 1 : fils d’Abraham, fils de David

Le cadre généalogique dans lequel Matthieu situe la naissance de Jésus témoigne de l’orientation qu’il donne à son Evangile. Jésus est d’abord, pour Matthieu, le fils de David. Le sang qui coule dans les veines de Jésus est un sang royal. Sa lignée est celle du roi qui a reçu, de la part de Dieu, la promesse d’un fils qui siégerait éternellement sur son trône : 2 Samuel 7,12-13. L’intention de Matthieu est de démontrer, par le récit qu’il va faire des faits qui touchent à la vie de Jésus, qu’il est la réalisation de la promesse divine faite à David. Le second personnage cité après David est Abraham, de qui David descend. Avec Abraham, Matthieu greffe la venue de Jésus sur la racine qui a donné naissance au peuple parmi lequel il voit le jour : Israël. Comme David, Abraham a été l’objet d’une promesse qui devait se réaliser par sa descendance. Cette promesse était que, par lui, toutes les familles de la terre seraient bénies : Genèse 12,3. L’apôtre Paul expliquera plus tard que Christ, descendance d’Abraham, est celui par qui cette promesse s’est réalisée : Galates 3,16. Qui est Jésus, selon Matthieu ? La réponse est claire. Il est le Roi des Juifs, le Fils de David à qui la royauté éternelle a été promise, la descendance d’Abraham par qui toutes les nations sont bénies.

V 2 : Abraham, Isaac, Jacob, Juda


Alors que Luc fait remonter la généalogie de Jésus à Adam : Luc 3,38, Matthieu choisit délibérément Abraham comme racine la plus ancienne de son extraction. Abraham est, selon les paroles d’Esaïe, le rocher à partir duquel Israël a été taillé, la carrière d’où il a été tiré : Esaïe 51,1-2. L’acte de naissance de la nation viendra plus tard. Mais le moule qui l’a vu naître date du patriarche. D’Abraham, la filiation de laquelle est issu Jésus passe ensuite par Isaac. Abraham n’eut pas que lui comme fils. Mais Isaac est unique. Il est le fils que Dieu donna à Abraham par Sara dans sa vieillesse, le fils de la promesse. C’est par Isaac que les bénédictions promises à Abraham lors de son appel devaient se réaliser. En venant d’Isaac, Jésus descend de la lignée désignée par Dieu comme celle par laquelle les nations seraient bénies. Isaac eut deux fils : Esaü et Jacob. Possesseur du droit d’aînesse, Esaü le méprisa pour un plat de lentilles qu’il acheta à Jacob. Jacob, bien que cadet, devint l’élu de Dieu par qui Israël allait naître. Il donna naissance à douze fils, dont Juda qui reçut de son père mourant l’annonce que de lui naîtrait le Shilo à qui les peuples obéiraient : Genèse 49,10.

Au jour où il se révéla à Moïse, Dieu se présenta comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : Exode 3,6. Le Messie envoyé de Dieu ne pouvait venir que de cette lignée. La généalogie de Jésus démontre qu’il est issu de la filiation choisie par Dieu pour la venue du Christ. En réduisant les probabilités par le tri, la généalogie de Jésus témoigne du fait que ses « prétentions » messianiques ne sont pas arbitraires, mais, en vertu des choix divins, historiquement fondées.

 V 3 à 6 : de Juda à David

La portion de la généalogie de Jésus qui va de Juda à David passe par des faits qui témoignent de la direction absolue de Dieu en vue du projet de sa venue. Alors que l’auteur de la genèse relate l’histoire de Joseph, le fils de Jacob, il interrompt son récit pour s’intéresser soudainement à Juda, son frère : Genèse 38. Une parenthèse particulière de sa vie nous est racontée. Par des chemins troubles, Juda est conduit, sans le savoir, à coucher avec Tamar, l’une de ses belles-filles, déguisée en prostituée pour le séduire. Par suite de leur relation, celle-ci devient enceinte et accouche de jumeaux. L’histoire n’a rien de moral. Elle mêle en son sein mensonge, concupiscence, manipulation... C’est cependant de l’un des fils de Tamar, Pérets, que descend Jésus.

La seconde femme présente dans la généalogie de Jésus est Rahab, la prostituée cananéenne qui a accueilli les espions israélites et les a cachés à Jéricho : Josué 2. Sauvée de la destruction de la ville, elle devint l’épouse de Salmon, un juif de la lignée issue de Juda. Il y avait au temps de Rahab de multiples femmes israélites, mères de familles nombreuses de qui le Christ aurait pu naitre. Mais l’élection divine, en vue de la mission universelle de salut du Christ, a choisi de faire passer l’ascendance du Christ par cette femme, à la fois pécheresse et étrangère. Elle est, comme la veuve de Sarepta au temps d’Elie ou Naaman le syrien à l’époque d’Elisée, la démonstration que le canal de la grâce de Dieu n’est pas aliéné au peuple élu, mais ouvert à toutes les nations.

La généalogie de Jésus se poursuit pour aboutir à un autre personnage singulier, qui a donné son nom à un livre biblique : Ruth. Belle-fille de Rahab, Ruth lui ressemble sur plusieurs points. Comme elle, elle n’est pas israélite, mais étrangère d’origine. Ruth est issue de Moab, peuple descendant de Loth : Genèse 19,36-37. Mariée à un Israélite immigré, elle deviendra rapidement veuve dans son pays. Attachée à sa belle-mère, veuve également, Ruth fera le choix de la suivre en Israël et de faire de l’Eternel son Dieu. Son chemin la conduira à épouser Boaz, le fils de Rahab, un israélite aisé. Par son union, Ruth deviendra l’arrière-grand-mère du roi David.

Il n’y a dans la Bible nul autre roi comme David. Choisi de Dieu, oint par l’Esprit, il est le modèle auquel la Parole se réfère constamment pour juger de la conduite des autres rois. Ezéchias ou Josias, bons rois de Juda, marchèrent sur les traces de David : 2 Rois 18,3 ; 22,2. Achaz ou Manassé, mauvais rois de Juda, ne suivirent pas son exemple et connurent la désapprobation divine : 2 Rois 16,2 ; 21,2. Fils de David, Jésus l’est, selon la généalogie de Matthieu, par Salomon, le fils de la femme qu’il a volée à Urie, le Héthien. De toutes les fautes commises par David, son adultère avec Bath-Shéba est celle qui lui causera le plus de préjudices de son vivant. Elle lui vaudra la division dans sa famille, la perte de son trône et la révolte de l’un de ses fils contre lui. C’est cependant par cette voie inique et étrange que la lignée de Jésus, le Messie, passe pour conduire à sa naissance ici-bas.

La portion de la généalogie de Jésus qui court de Juda à David témoigne de l’action souveraine et gracieuse de Dieu dans l’histoire en vue de ses desseins. Dieu n’a de compte à rendre à personne. Il agit comme il le veut, avec qui il veut. Les fautes commises par les outils humains de sa providence ne sont pas un obstacle à la réalisation de sa volonté. Sa grâce a le pouvoir de tirer le bien du plus grand des maux. Les ascendants de Jésus ne sont pas tous des saints. Choisis par Dieu pour être les canaux de la venue de son Fils dans ce monde, ils illustrent le message dont il sera porteur à destination de tous. C’est par la grâce de Dieu seule que nous sommes sauvés. Cela ne vient pas de nous, c’est le don de Dieu.

V 7 à 11 : de Salomon à la déportation à Babylone

La partie de la généalogie de Jésus qui va de Salomon à Josias est la plus noble. Elle suit la lignée des rois issus de David qui régnèrent, à partir de Roboam, sur Juda. Il se trouve parmi eux les figures les plus inspirantes de cette période : Asa, Josaphat, Ozias, Ezéchias ou Josias. Il était nécessaire, pour que les prétentions du Messie à la royauté soient valables, que sa généalogie passe par la lignée davidique. Car c’est d’elle, comme nous l’avons vu, que doit sortir le roi qui règnera pour toujours sur Israël : 2 Samuel 7,12-13. Tous les rois qui précédèrent Jésus, malgré la grande valeur de certains, commirent des fautes. Jésus, l’unique être humain sans péché, est aussi le seul qui soit digne d’être appelé le Roi des rois. Car il est le seul qui ait conjugué à la perfection service et royauté dans le ministère que Dieu lui a confié auprès des hommes.

V 12 à 17 : de Jéconias à Joseph, l’époux de Marie

Nous ne connaissons que de noms (sauf Zorobabel : Esdras 3,2 ; Aggée 1,1) les ascendants de Jésus qui comble le temps qui court de la déportation à Joseph, son père adoptif. La rigueur juive au sujet de ce travail de mémoire a fait que la lignée de Jésus ne souffre d’aucun blanc. « Dans les sociétés organisées autour du lien familial, les généalogies (listes de noms retraçant la lignée d’un individu ou d’un groupe) ont valeur de documents publics permettant de retracer l’histoire, d’établir votre identité et de légitimer l’accès à des fonctions réservées. Un lien familial irréfutable et direct avec le passé est la clé à la fois de la légitimité et de l’identité.[1] » Traversant les trois périodes historiques qui découpent la généalogie de Jésus depuis Abraham, Matthieu comptabilise 42 générations réparties en 3 groupes de 14. Ce décompte précis et controversé a fait l’objet de nombreux commentaires. Selon Henry Bryant, il n’est pas fortuit. « En hébreu, la valeur numérique des trois lettres du nom de David, ajoutées ensemble, est de 14. Ceci est une explication possible et plausible de la raison pour laquelle Matthieu choisit ce nombre pour ses divisions. Il soulignerait par là le caractère royal de la généalogie de Jésus. C’est aussi un moyen mnémotechnique rabbinique.[2] »

Roi-Messie issu de David, Jésus met fin à la malédiction prononcée par Dieu sur sa descendance. En effet, au jour de la déportation des Juifs à Babylone, une parole terrible de Dieu sur la lignée de David avait été prononcée par Jérémie sur Jéconias, le fils du dernier roi. « Ecrivez au sujet de cet homme, avait ordonné le prophète, qu’il sera privé d’enfants, qu’il ne réussira pas sa vie. En effet, aucun de ses descendants ne réussira à occuper le trône de David et à régner encore sur Juda : Jérémie 22,30 à 31. » A cause de la promesse faite antérieurement à David, la malédiction ne pouvait avoir qu’un effet limité dans le temps. Porteur de la grâce divine, Jésus est, parce qu’il a été fait malédiction pour nous, celui qui met fin à toutes celles proférées avant lui. A cause de lui, il y a encore un avenir et une espérance pour Israël : cf Jérémie 29,10-11.

V 18 à 25 : naissance de Jésus

Après avoir dressé la généalogie de Jésus-Christ, Matthieu nous relate les faits qui ont trait à sa naissance. La personne qui est au centre de son récit est une jeune fille, choisie par Dieu pour être la mère de Jésus : Marie. Au moment où nous la trouvons, celle-ci n’est pas mariée, mais fiancée à un homme appelé Joseph. Il y a entre eux un engagement fort. Une promesse de fidélité les attache l’un à l’autre jusqu’au jour où, devant leurs parents, ils s’uniront et formeront un couple. Les fiancés juifs n’avaient pas de relations sexuelles ensemble et ne vivaient pas sous le même toit. Mais, sur le plan légal, ils étaient liés au même titre que des personnes mariées. Seul un divorce pouvait rompre leurs fiançailles.

C’est dans cette période d’attente du mariage que Marie se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. Matthieu se limite ici à ce fait, mais Luc nous en dit plus. La grossesse de Marie ne lui fut pas imposée. Avant qu’elle ne se produise, l’évangéliste raconte la visite de l’ange Gabriel l’informant du projet de Dieu à son sujet. Soumise, Marie choisit de faire passer la volonté de Dieu avant ses intérêts, au risque de porter préjudice à son bonheur futur : cf Luc 1,26 à 38. En « volant » Marie à Joseph, Dieu savait cependant ce qu’il faisait. Il connaissait le cœur de celui-ci et savait que son amour pour Marie la préserverait d’une décision qui lui nuirait. Ayant appris que sa bien-aimée attendait un enfant, Joseph opta pour une rupture secrète avec elle. Matthieu ne le dit pas, mais nous pouvons imaginer les questions et la tristesse qui envahirent son cœur à ce moment. « Marie ! Toi enceinte ? Comment une telle chose est-elle possible ? Que t’est-il arrivé pour que tu oublies ton engagement envers moi ? Cela ne te ressemble pas du tout ! Je ne puis comprendre. »

Le Seigneur ne laissa pas longtemps Joseph dans le désarroi. Il dépêcha un ange auprès de lui et, dans un rêve, lui donna l’explication de la grossesse de sa fiancée. L’enfant qu’elle attendait n’était pas le fruit d’une trahison, mais l’œuvre surnaturelle de Dieu par le Saint-Esprit. Marie portait en son sein un fils et c’est à lui, Joseph, que revenait l’honneur de lui attribuer le nom voulu par Dieu pour lui : Jésus. Ce nom ne lui est pas donné par hasard. Il est significatif de la mission de salut pour laquelle Dieu le fait entrer dans le monde. Par Jésus, l’Eternel est lui-même venu vers son peuple pour le sauver de ses péchés. Matthieu le précise ici : ce n’est pas le monde dans sa globalité, mais le peuple de Dieu qui est le bénéficiaire de la mission rédemptrice du Sauveur. L’ange termine son annonce à Joseph en authentifiant le message dont il est le porteur par une citation d’Esaïe. Joseph aurait été en droit de douter de la parole de l’ange si elle ne s’appuyait pas sur une parole précise de Dieu. Or, inspiré de Dieu, Esaïe avait prédit ce qui se produit sous les yeux de Joseph. « La vierge, dit le prophète, sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera Emmanuel : Esaïe 7,14. »

Le récit de la naissance de Jésus et la façon d’agir de Dieu envers Joseph confirment la justesse du témoignage qui lui est rendu au sujet de ses voies. « L’Eternel est juste dans toutes ses voies et miséricordieux dans toutes ses œuvres : Psaume 145,17. » La bienveillance de Dieu envers ses serviteurs accompagne toutes ses décisions à leur sujet. A l’écoute de la révélation de l’ange, le cœur de Joseph se réveillera rassuré. La honte qu’il ressentît à propos de Marie se muera en admiration et émerveillement. Non ! Joseph ne s’était pas trompé sur elle. Marie était encore plus belle qu’il ne l’imaginait. A cause du choix de Dieu, toutes les générations la diront heureuse : Luc 1,48. Car, dans toute l’histoire, elle est unique. Elle seule a connu l’insigne privilège de donner naissance à Jésus, le Fils de Dieu.

Matthieu termine son récit en précisant le comportement qu’adoptèrent Marie et Joseph jusqu’à la naissance de Jésus. Bien que mariés, ils n’eurent pas de relations conjugales avant sa venue. Jésus né, ils eurent, comme tous les autres couples, une relation maritale. La virginité perpétuelle de Marie, chère au catholicisme, ne repose sur aucun texte biblique.


[1] La Bible avec notes d’étude archéologiques et historiques : page 1372

[2] Commentaire Biblique sur Matthieu : Henry Bryant : Edition Clé : page 30