jeudi 11 novembre 2021

CHAPITRE 1

 V 1 à 17 : généalogie de Jésus-Christ

V 1 : fils d’Abraham, fils de David

Le cadre généalogique dans lequel Matthieu situe la naissance de Jésus témoigne de l’orientation qu’il donne à son Evangile. Jésus est d’abord, pour Matthieu, le fils de David. Le sang qui coule dans les veines de Jésus est un sang royal. Sa lignée est celle du roi qui a reçu, de la part de Dieu, la promesse d’un fils qui siégerait éternellement sur son trône : 2 Samuel 7,12-13. L’intention de Matthieu est de démontrer, par le récit qu’il va faire des faits qui touchent à la vie de Jésus, qu’il est la réalisation de la promesse divine faite à David. Le second personnage cité après David est Abraham, de qui David descend. Avec Abraham, Matthieu greffe la venue de Jésus sur la racine qui a donné naissance au peuple parmi lequel il voit le jour : Israël. Comme David, Abraham a été l’objet d’une promesse qui devait se réaliser par sa descendance. Cette promesse était que, par lui, toutes les familles de la terre seraient bénies : Genèse 12,3. L’apôtre Paul expliquera plus tard que Christ, descendance d’Abraham, est celui par qui cette promesse s’est réalisée : Galates 3,16. Qui est Jésus, selon Matthieu ? La réponse est claire. Il est le Roi des Juifs, le Fils de David à qui la royauté éternelle a été promise, la descendance d’Abraham par qui toutes les nations sont bénies.

V 2 : Abraham, Isaac, Jacob, Juda


Alors que Luc fait remonter la généalogie de Jésus à Adam : Luc 3,38, Matthieu choisit délibérément Abraham comme racine la plus ancienne de son extraction. Abraham est, selon les paroles d’Esaïe, le rocher à partir duquel Israël a été taillé, la carrière d’où il a été tiré : Esaïe 51,1-2. L’acte de naissance de la nation viendra plus tard. Mais le moule qui l’a vu naître date du patriarche. D’Abraham, la filiation de laquelle est issu Jésus passe ensuite par Isaac. Abraham n’eut pas que lui comme fils. Mais Isaac est unique. Il est le fils que Dieu donna à Abraham par Sara dans sa vieillesse, le fils de la promesse. C’est par Isaac que les bénédictions promises à Abraham lors de son appel devaient se réaliser. En venant d’Isaac, Jésus descend de la lignée désignée par Dieu comme celle par laquelle les nations seraient bénies. Isaac eut deux fils : Esaü et Jacob. Possesseur du droit d’aînesse, Esaü le méprisa pour un plat de lentilles qu’il acheta à Jacob. Jacob, bien que cadet, devint l’élu de Dieu par qui Israël allait naître. Il donna naissance à douze fils, dont Juda qui reçut de son père mourant l’annonce que de lui naîtrait le Shilo à qui les peuples obéiraient : Genèse 49,10.

Au jour où il se révéla à Moïse, Dieu se présenta comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : Exode 3,6. Le Messie envoyé de Dieu ne pouvait venir que de cette lignée. La généalogie de Jésus démontre qu’il est issu de la filiation choisie par Dieu pour la venue du Christ. En réduisant les probabilités par le tri, la généalogie de Jésus témoigne du fait que ses « prétentions » messianiques ne sont pas arbitraires, mais, en vertu des choix divins, historiquement fondées.

 V 3 à 6 : de Juda à David

La portion de la généalogie de Jésus qui va de Juda à David passe par des faits qui témoignent de la direction absolue de Dieu en vue du projet de sa venue. Alors que l’auteur de la genèse relate l’histoire de Joseph, le fils de Jacob, il interrompt son récit pour s’intéresser soudainement à Juda, son frère : Genèse 38. Une parenthèse particulière de sa vie nous est racontée. Par des chemins troubles, Juda est conduit, sans le savoir, à coucher avec Tamar, l’une de ses belles-filles, déguisée en prostituée pour le séduire. Par suite de leur relation, celle-ci devient enceinte et accouche de jumeaux. L’histoire n’a rien de moral. Elle mêle en son sein mensonge, concupiscence, manipulation... C’est cependant de l’un des fils de Tamar, Pérets, que descend Jésus.

La seconde femme présente dans la généalogie de Jésus est Rahab, la prostituée cananéenne qui a accueilli les espions israélites et les a cachés à Jéricho : Josué 2. Sauvée de la destruction de la ville, elle devint l’épouse de Salmon, un juif de la lignée issue de Juda. Il y avait au temps de Rahab de multiples femmes israélites, mères de familles nombreuses de qui le Christ aurait pu naitre. Mais l’élection divine, en vue de la mission universelle de salut du Christ, a choisi de faire passer l’ascendance du Christ par cette femme, à la fois pécheresse et étrangère. Elle est, comme la veuve de Sarepta au temps d’Elie ou Naaman le syrien à l’époque d’Elisée, la démonstration que le canal de la grâce de Dieu n’est pas aliéné au peuple élu, mais ouvert à toutes les nations.

La généalogie de Jésus se poursuit pour aboutir à un autre personnage singulier, qui a donné son nom à un livre biblique : Ruth. Belle-fille de Rahab, Ruth lui ressemble sur plusieurs points. Comme elle, elle n’est pas israélite, mais étrangère d’origine. Ruth est issue de Moab, peuple descendant de Loth : Genèse 19,36-37. Mariée à un Israélite immigré, elle deviendra rapidement veuve dans son pays. Attachée à sa belle-mère, veuve également, Ruth fera le choix de la suivre en Israël et de faire de l’Eternel son Dieu. Son chemin la conduira à épouser Boaz, le fils de Rahab, un israélite aisé. Par son union, Ruth deviendra l’arrière-grand-mère du roi David.

Il n’y a dans la Bible nul autre roi comme David. Choisi de Dieu, oint par l’Esprit, il est le modèle auquel la Parole se réfère constamment pour juger de la conduite des autres rois. Ezéchias ou Josias, bons rois de Juda, marchèrent sur les traces de David : 2 Rois 18,3 ; 22,2. Achaz ou Manassé, mauvais rois de Juda, ne suivirent pas son exemple et connurent la désapprobation divine : 2 Rois 16,2 ; 21,2. Fils de David, Jésus l’est, selon la généalogie de Matthieu, par Salomon, le fils de la femme qu’il a volée à Urie, le Héthien. De toutes les fautes commises par David, son adultère avec Bath-Shéba est celle qui lui causera le plus de préjudices de son vivant. Elle lui vaudra la division dans sa famille, la perte de son trône et la révolte de l’un de ses fils contre lui. C’est cependant par cette voie inique et étrange que la lignée de Jésus, le Messie, passe pour conduire à sa naissance ici-bas.

La portion de la généalogie de Jésus qui court de Juda à David témoigne de l’action souveraine et gracieuse de Dieu dans l’histoire en vue de ses desseins. Dieu n’a de compte à rendre à personne. Il agit comme il le veut, avec qui il veut. Les fautes commises par les outils humains de sa providence ne sont pas un obstacle à la réalisation de sa volonté. Sa grâce a le pouvoir de tirer le bien du plus grand des maux. Les ascendants de Jésus ne sont pas tous des saints. Choisis par Dieu pour être les canaux de la venue de son Fils dans ce monde, ils illustrent le message dont il sera porteur à destination de tous. C’est par la grâce de Dieu seule que nous sommes sauvés. Cela ne vient pas de nous, c’est le don de Dieu.

V 7 à 11 : de Salomon à la déportation à Babylone

La partie de la généalogie de Jésus qui va de Salomon à Josias est la plus noble. Elle suit la lignée des rois issus de David qui régnèrent, à partir de Roboam, sur Juda. Il se trouve parmi eux les figures les plus inspirantes de cette période : Asa, Josaphat, Ozias, Ezéchias ou Josias. Il était nécessaire, pour que les prétentions du Messie à la royauté soient valables, que sa généalogie passe par la lignée davidique. Car c’est d’elle, comme nous l’avons vu, que doit sortir le roi qui règnera pour toujours sur Israël : 2 Samuel 7,12-13. Tous les rois qui précédèrent Jésus, malgré la grande valeur de certains, commirent des fautes. Jésus, l’unique être humain sans péché, est aussi le seul qui soit digne d’être appelé le Roi des rois. Car il est le seul qui ait conjugué à la perfection service et royauté dans le ministère que Dieu lui a confié auprès des hommes.

V 12 à 17 : de Jéconias à Joseph, l’époux de Marie

Nous ne connaissons que de noms (sauf Zorobabel : Esdras 3,2 ; Aggée 1,1) les ascendants de Jésus qui comble le temps qui court de la déportation à Joseph, son père adoptif. La rigueur juive au sujet de ce travail de mémoire a fait que la lignée de Jésus ne souffre d’aucun blanc. « Dans les sociétés organisées autour du lien familial, les généalogies (listes de noms retraçant la lignée d’un individu ou d’un groupe) ont valeur de documents publics permettant de retracer l’histoire, d’établir votre identité et de légitimer l’accès à des fonctions réservées. Un lien familial irréfutable et direct avec le passé est la clé à la fois de la légitimité et de l’identité.[1] » Traversant les trois périodes historiques qui découpent la généalogie de Jésus depuis Abraham, Matthieu comptabilise 42 générations réparties en 3 groupes de 14. Ce décompte précis et controversé a fait l’objet de nombreux commentaires. Selon Henry Bryant, il n’est pas fortuit. « En hébreu, la valeur numérique des trois lettres du nom de David, ajoutées ensemble, est de 14. Ceci est une explication possible et plausible de la raison pour laquelle Matthieu choisit ce nombre pour ses divisions. Il soulignerait par là le caractère royal de la généalogie de Jésus. C’est aussi un moyen mnémotechnique rabbinique.[2] »

Roi-Messie issu de David, Jésus met fin à la malédiction prononcée par Dieu sur sa descendance. En effet, au jour de la déportation des Juifs à Babylone, une parole terrible de Dieu sur la lignée de David avait été prononcée par Jérémie sur Jéconias, le fils du dernier roi. « Ecrivez au sujet de cet homme, avait ordonné le prophète, qu’il sera privé d’enfants, qu’il ne réussira pas sa vie. En effet, aucun de ses descendants ne réussira à occuper le trône de David et à régner encore sur Juda : Jérémie 22,30 à 31. » A cause de la promesse faite antérieurement à David, la malédiction ne pouvait avoir qu’un effet limité dans le temps. Porteur de la grâce divine, Jésus est, parce qu’il a été fait malédiction pour nous, celui qui met fin à toutes celles proférées avant lui. A cause de lui, il y a encore un avenir et une espérance pour Israël : cf Jérémie 29,10-11.

V 18 à 25 : naissance de Jésus

Après avoir dressé la généalogie de Jésus-Christ, Matthieu nous relate les faits qui ont trait à sa naissance. La personne qui est au centre de son récit est une jeune fille, choisie par Dieu pour être la mère de Jésus : Marie. Au moment où nous la trouvons, celle-ci n’est pas mariée, mais fiancée à un homme appelé Joseph. Il y a entre eux un engagement fort. Une promesse de fidélité les attache l’un à l’autre jusqu’au jour où, devant leurs parents, ils s’uniront et formeront un couple. Les fiancés juifs n’avaient pas de relations sexuelles ensemble et ne vivaient pas sous le même toit. Mais, sur le plan légal, ils étaient liés au même titre que des personnes mariées. Seul un divorce pouvait rompre leurs fiançailles.

C’est dans cette période d’attente du mariage que Marie se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. Matthieu se limite ici à ce fait, mais Luc nous en dit plus. La grossesse de Marie ne lui fut pas imposée. Avant qu’elle ne se produise, l’évangéliste raconte la visite de l’ange Gabriel l’informant du projet de Dieu à son sujet. Soumise, Marie choisit de faire passer la volonté de Dieu avant ses intérêts, au risque de porter préjudice à son bonheur futur : cf Luc 1,26 à 38. En « volant » Marie à Joseph, Dieu savait cependant ce qu’il faisait. Il connaissait le cœur de celui-ci et savait que son amour pour Marie la préserverait d’une décision qui lui nuirait. Ayant appris que sa bien-aimée attendait un enfant, Joseph opta pour une rupture secrète avec elle. Matthieu ne le dit pas, mais nous pouvons imaginer les questions et la tristesse qui envahirent son cœur à ce moment. « Marie ! Toi enceinte ? Comment une telle chose est-elle possible ? Que t’est-il arrivé pour que tu oublies ton engagement envers moi ? Cela ne te ressemble pas du tout ! Je ne puis comprendre. »

Le Seigneur ne laissa pas longtemps Joseph dans le désarroi. Il dépêcha un ange auprès de lui et, dans un rêve, lui donna l’explication de la grossesse de sa fiancée. L’enfant qu’elle attendait n’était pas le fruit d’une trahison, mais l’œuvre surnaturelle de Dieu par le Saint-Esprit. Marie portait en son sein un fils et c’est à lui, Joseph, que revenait l’honneur de lui attribuer le nom voulu par Dieu pour lui : Jésus. Ce nom ne lui est pas donné par hasard. Il est significatif de la mission de salut pour laquelle Dieu le fait entrer dans le monde. Par Jésus, l’Eternel est lui-même venu vers son peuple pour le sauver de ses péchés. Matthieu le précise ici : ce n’est pas le monde dans sa globalité, mais le peuple de Dieu qui est le bénéficiaire de la mission rédemptrice du Sauveur. L’ange termine son annonce à Joseph en authentifiant le message dont il est le porteur par une citation d’Esaïe. Joseph aurait été en droit de douter de la parole de l’ange si elle ne s’appuyait pas sur une parole précise de Dieu. Or, inspiré de Dieu, Esaïe avait prédit ce qui se produit sous les yeux de Joseph. « La vierge, dit le prophète, sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera Emmanuel : Esaïe 7,14. »

Le récit de la naissance de Jésus et la façon d’agir de Dieu envers Joseph confirment la justesse du témoignage qui lui est rendu au sujet de ses voies. « L’Eternel est juste dans toutes ses voies et miséricordieux dans toutes ses œuvres : Psaume 145,17. » La bienveillance de Dieu envers ses serviteurs accompagne toutes ses décisions à leur sujet. A l’écoute de la révélation de l’ange, le cœur de Joseph se réveillera rassuré. La honte qu’il ressentît à propos de Marie se muera en admiration et émerveillement. Non ! Joseph ne s’était pas trompé sur elle. Marie était encore plus belle qu’il ne l’imaginait. A cause du choix de Dieu, toutes les générations la diront heureuse : Luc 1,48. Car, dans toute l’histoire, elle est unique. Elle seule a connu l’insigne privilège de donner naissance à Jésus, le Fils de Dieu.

Matthieu termine son récit en précisant le comportement qu’adoptèrent Marie et Joseph jusqu’à la naissance de Jésus. Bien que mariés, ils n’eurent pas de relations conjugales avant sa venue. Jésus né, ils eurent, comme tous les autres couples, une relation maritale. La virginité perpétuelle de Marie, chère au catholicisme, ne repose sur aucun texte biblique.


[1] La Bible avec notes d’étude archéologiques et historiques : page 1372

[2] Commentaire Biblique sur Matthieu : Henry Bryant : Edition Clé : page 30


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